LE MODE DE VIE NOMADE NE ME FAIT PLUS RÊVER.
Comment un road trip d’un an en Amérique du Nord m’a ouvert les yeux sur le mode de vie nomade.
J’ai expérimenté le mode de vie nomade pendant un an, avec mon conjoint et nos deux enfants.
En 2017, nous avons vendu notre maison ainsi que toutes nos possessions. Nous avons quitté nos emplois, acheté un van, et sommes partis découvrir l’Amérique du Nord, au grès de nos envies.
Partis de Sherbrooke, Québec, nous nous sommes rendus jusqu’au Belize, en passant par les États-Unis, le Mexique, et le Guatemala. Au bout de 6 mois de voyage, nous avons fait demi-tour. Les multiples bris mécaniques, le manque de confort et dépassement de notre budget a contribué à notre changement d’état d’esprit.
Il fallait se rendre à l’évidence : la vie nomade ne nous convenait pas. L’incertitude du lendemain vécue chaque jour pendant une année entière était génératrice d’anxiété, plus de que de plaisir.
L’APPEL DU VOYAGE
Nous avions un peu voyagé avant, lorsque nous étions deux seulement. Nous désirions maintenant partager avec nos enfants, âgés de 6 et 9 ans, le plaisir que représentent la découverte et le dépaysement.
Le point de départ de notre démarche était de rompre avec la routine de la vie sédentaire d’employé. Cette vie-là, j’ai du mal à y trouver mon compte, autant professionnellement que personnellement. J’en parle souvent.
Mon besoin de liberté et d’autonomie est bridé par la répétition des semaines, rythmées immuablement par 40 heures d’ouvrage répartis sur 5 jours, suivis de 2 jours de loisirs. Malgré tous mes efforts pour renter dans cette case et mon apparente aisance dans le milieu de l’entreprise, j’ai toujours l’impression d’être à côté de la plaque.
Insatisfaite. Non-accomplie.
L’absurdité du monde moderne
Le monde moderne me semble absurde sur bien des points. Il a été créé par les Hommes, pour les Hommes. Pourtant, combien sommes-nous à nous sentir comme ça ? Combien sommes-nous à ressentir la société comme un poids écrasant l’individualité, plutôt que comme un environnement favorable à notre bien-être ? Combien sommes-nous à chercher à donner un sens à notre existence, alors que le simple fait d’être devrait suffire ?
Ce voyage, il venait briser momentanément l’avenir monotone de cette perpétuité qui m’angoisse. C’était une bouffée de marginalité et d’audace qui me donnait l’opportunité de mettre mon énergie dans un projet nourrissant. Et pourtant…
Voilà les 3 choses qui m’ont manquées en voyage :
- La sécurité,
- Le confort,
- L’intimité
SIMPLICITÉ VOLONTAIRE VERSUS CONFORT
Bien sûr, lorsqu’on part en voyage, comme ça, on vit d’autre contraintes au quotidien. On se défait de la charge d’une maison à entretenir, qu’on vient remplacer par un camion, à entretenir.
À mes yeux, les contraintes que l’on a choisies sont plus facilement vivables, car elles s’intègrent dans la réalisation d’un objectif personnel. Ne pas être dans la mesure de prendre des douches chaudes à volonté me semblait être un bien petit prix à payer contre une année sans patron.
L’intention qui guidait nos choix était de vivre en toute simplicité.
De tendance minimaliste depuis plusieurs années, adeptes du Zéro Déchet, sensibles aux enjeux environnementaux, notre désir de réduire notre empreinte écologique était sincère. C’est donc dans cet état d’esprit que nous avions effectué l’achat d’un Ford 350 âgé de 30 ans. Robuste et sans aucun système électronique, nous avions installé un panneau solaire afin d’être autonome en électricité. Ceci nous permettait de ne pas avoir à nous brancher à une borne, et donc, de ne pas être contraints de dormir dans un camping.
Nous étions tellement enthousiastes, que nous avions négligé de prendre en compte l’importance d’un minimum de confort pour que l’expérience nomade reste un plaisir partagé par tout le monde.
C’est comme ça que nous nous sommes retrouvés au Mexique sans climatisation, par exemple. Franchement, c’est invivable.
Trop de simplicité tue la simplicité.
Au bout d’un moment, la volonté se transforme en obstination. Lorsqu’on repousse perpétuellement les limites de ce qu’on est capable de supporter, comme mauvaise condition de voyage, on perde vue l’objectif. Le voyage se transforme en job et on finit par passer sa journée à régler des problèmes.
On se crée des contraintes artificiellement, pour la satisfaction de les avoir surmontées. Est-ce que cela nous rend plus forts ? C’est certain que certaines péripéties peuvent agrémenter un voyage. Mais lorsque ces péripéties nous poussent à bout, le sentiment qui accompagne le retour à la vie dite « normale » est un celui de l’échec.
SENTIMENT DE SÉCURITÉ
Notre stratégie, c’était de faire profil bas.
Surtout, ne pas attirer l’attention avec de l’équipement technologique, par exemple, ou du matériel de sport. Mais se retrouver dans un pays étranger, en pleine campagne, sans téléphone portable avait tendance à faire augmenter mon niveau d’anxiété plutôt que le contraire.
Soyons honnête, le Mexique n’a pas forcément bonne réputation. Les journaux racontent régulièrement des histoires d’assassinat et de règlement de comptes. C’est un pays où l’enlèvement d’étrangers est monnaie courante.
Ça fait peur.
Chaque soir, avant s’endormir, nous faisions bien attention à verrouiller toutes les issues de notre camion qui contenait ce que nous avions de plus précieux : notre famille.
Enfermés tous les quatre dans 6 mètres carrés de surface habitable, la cohabitation n’a jamais été une source de conflit entre nous. Lorsqu’on vit dans un si petit endroit, il est essentiel de respecter les moments de calme, et l’intimité de tout le monde. Avoir une pièce à soi, avec une porte qui se ferme représente aussi ce qui m’a le plus manqué en voyage.
Se ménager des instants de solitude contribue au bien-être de chacun des membres de la famille. Je ne souhaitais pas que « supporter les autres » deviennent une contrainte au même titre que « trouver un endroit pour vidanger ».
Enfin, ce voyage m’a appris beaucoup sur moi-même, sur les gens, sur la vie en général. J’ai eu l’audace de le faire à un moment où c’était opportun. J’y pense souvent, et lorsque je procrastine sur des choses qui me tiennent à cœur (comme écrire un livre) et que je me sens découragée, je me rappelle que ça, je l’ai fait.
L’HERBE N’EST PAS PLUS VERTE.
Je ne rêve plus de la vie nomade comme certains le mettent en avant sur Internet. Ce que l’on voit sur Facebook ou Instagram, ce n’est pas la réalité (Je vous entends d’ici : “Sérieusement, Émilie, on l’avait compris.”). C’est une vie romancée, qui nous laisse croire que tout est beau et facile.
Croyez-moi, l’herbe n’est pas plus verte ailleurs, et nos problèmes, on les emmène avec soi.
La vie nomade ne dure qu’un temps. La simplicité volontaire, le minimalisme deviennent des travers lorsqu’ils sont érigés en paradigme, tout comme le capitalisme. Comme toute idée poussée à l’extrême.
Je suis heureuse et reconnaissante d’avoir pu réaliser ce rêve et concrétiser ce voyage, accompagnée des gens que j’aime. Ce n’était pas parfait, et si c’était à refaire, je partirais dans d’autres conditions.
J’ai parfois le sentiment de ne pas en avoir profité comme j’aurais pu, mais je n’ai aucun regret. Je suis allée voir ce qui existait ailleurs. Si l’objectif était « sortir de sa zone de confort », alors celui-là, je l’ai atteint à cent pour-cent.
LE RETOUR À LA VIE SÉDENTAIRE
Alors que je redoutais le retour à la vie sédentaire, je ne l’ai pas vécu comme un choc, mais plutôt un soulagement.
Je vois la vie comme une succession de cycles, ou comme les chapitres d’un livre. La vie est une aventure en soi. Ce voyage m’a permis de clore un chapitre, et d’en ouvrir un nouveau.
De façon surprenante, ce nouveau chapitre est très éloigné de ce que j’envisageais comme suite. Avec le recul, je pense que je désirais vivre une sorte d’expérience un peu mystique, qui me révélerais qui j’étais vraiment… Je n’ai pas connu d’épiphanie ni de révélation particulière, mais je sais maintenant que la case « nomade » n’est pas pour moi non plus.